Avec un soupçon de poison...
Cette histoire m'est revenue en mémoire en lisant le texte teinté d'une pointe d'humour et de sagesse de Carole, "Les fleurs du miel" que j'ai beaucoup aimé et dont vous trouverez le lien plus bas.
Cela faisait quelques mois seulement que j'étais installée dans un minuscule studio meublé assez misérable dans un quartier tristounet au dessus de la fourrière municipale, et pour tout dire, je ramais péniblement pour survivre lorsqu'une amie du continent m'informa qu'elle venait d'arriver en Corse pour les vacances.
Ravie à la pensée de la revoir et oubliant sur le champ mes conditions de vie que l'on pourrait qualifier de difficiles, pour le moins, je l'invitais néanmoins à dîner chez moi ainsi que son mari que je ne connaissais que de vue.
Le coeur battant, je m'occupais activement à la préparation de cette "réception" faite sur le coup de la surprise et de l'enthousiasme inconsidéré qu'avaient provoqué chez moi ces retrouvailles inespérées.
Les vieux meubles dégotés dans je ne sais quelle brocante à deux sous par mon acariâtre propriétaire furent repoussés au maximum contre les murs, je planquai au fond d'un tiroir tout suintant d'humidité les déco en toc bigarrées qu'elle avait répandues un peu partout dans le pauvre logement, nettoyai la table du balcon en plastique, la rentrai et la recouvris d'un vaste drap bleu qui en cacherait avantageusement les pieds crevassés et ferait en même temps office de nappe.
Je courus chercher un poulet rôti chez le marchand ambulant au coin de la rue, une boîte de haricots verts, une bouteille de rosé de la région et une glace au chocolat, empruntai deux ou trois apéro chez madame S. (merci) toujours là pour rendre service, tendis d'un drap une armoire lugubre assez massive pour y cacher la moitié de mes ancêtres et disposai enfin le couvert.
Dans un fond de plat en , je fixai dans le sable, façon ikebana corse, trois fleurs blanches et quelques longues herbes glanées au passage sur un petit monticule de végétations sauvages qui grimpaient le long d'un immeuble et tout fut prêt. Je contemplais fièrement mon centre de table fleuri et épuré, certainement trop sophistiqué au milieu des fourchettes dépareillées, des assiettes grossières et des verres à moutarde, mais j'étais contente.
A peine douchée et revêtue de propre, je les aperçus, faisant fuir en traversant la cour, les petits rats qui dansaient à la belle étoile.
Je m'avisai soudain que je ne connaissais pas du tout le mari de mon amie. Bonjour, bonsoir de loin en passant, je m'inquiétais soudain de son allure austère, sévère, même, et de son air renfrogné et me promettais de faire au mieux pour décontracter le monsieur pas commode....un peu angoissée tout de même, je leur ouvris la porte...
Retrouvailles, bises, "je te présente Olivier" - oeil noir, regard indifférent -...bonjour, bonjour...quel bonheur de revoir la gentille Tamara que j'aime beaucoup...mais voici Olivier qui se dirige vers la table, le cou tendu comme une poule qui aurait trouvé un asticot, l'index pointé sur le beau bouquet si artistiquement élaboré, si élégant, seul élément dont je pouvais être fière dans cette pièce totalement dénuée de charme... un hoquet se fit entendre, les épaules secouées de soubresauts incontrôlables , Olivier se retourna sur moi, pleurant de rire, hilare, et articula avec peine: "elle nous a fait un dîner à la cigüe!"....
La soirée fut mémorable, jamais je crois, je n'ai tant ri que ce soir là et mes deux convives en gardent aussi un souvenir ému!
Comme quoi, une pincée de poison peut aussi accompagner un bon dîner...
Je l'ai saisie tout au bord de la Sèvre, à Rezé près de Nantes.J'ai d'abord cru que c'était une angélique, étoile de la terre, fleur de doux confiseur et d'herboriste sage,et je l'ai admiré...
http://carole.chollet.over-blog.com/article-ange-ou-demon-123627894.html