ciel d'orage
15 heures. Les touristes promènent nonchalamment leurs coups de soleil le long de la rue piétonne et très commerçante, jetant des regards blasés et fatigués sur les étalages de marchandises made in China que les échoppes leur proposent les unes après les autres.
Véritables couteaux corses, "ouvert: fâché, fermé:content" à 10 euros pièce (un vrai, fait main, coûte au bas mot vingt cinq fois plus cher et n'est ni "fâché, ni content" mais fier), chapeaux de pailles Sud américains, serviettes de plage I love Corsica, tee shirts estampillés de la tête de Maure, soieries criardes pur synthétique, cartes postales de plages de rêves, porte-clefs impériaux, Napoléon prisonnier d'une boule presse-papier sous la neige, Corse en pendentif, en or, en plastic, dorées, vertes rouges, tasses et soucoupes "Marinella"," Corsica bella"...
Il fait très lourd, on entend au loin depuis le matin, l'orage gronder sur les montagnes.
Les oiseaux crient dans le ciel changeant, planant dans les bourrasques qui se rapprochent. Les commerçants rentrent prestement la précieuse marchandise, les parasols se plient, les terrasses se vident.
Chacun se dépêche de trouver un abri. Quelques touristes continuent leur balade, amusés par le remue-ménage alentours. "On en a vu d'autres" disent- ils, amusés, "ce n'est pas un petit crachin d'été qui peut nous impressionner."
Pourtant, au premier coup de tonnerre brutal et sec, ils se précipiteront les premiers contre les vitrines, recevant les premières gouttes des toits pentus du déluge annoncé.
Un américain imposant bouche à lui seul l'entrée d'un refuge dans un recoin tandis que sa compagne, tout aussi avantageuse, dégage les effluves écoeurantes des lingettes distribuées sur son bateau de croisière tout en poussant du dos le ventre du mufle pour s'abriter aussi.
Le vendeur de chapeaux remonte essoufflé de sa resserre avec une énorme brassée de parapluies qu'il dispose bien en vue devant sa porte.
Des géants venus par cargaisons des pays nordiques exhibent des têtes longues comme trois jours sans pain, s'étonnant de voir ici tant de pluie, les mêmes qui l'instant d'avant s'extasiaient sur la beauté verdoyante de l'île.
Un jeune malin à la tête plus fragile que le dos remonte son tee-shirt sur son crane rasé, laissant apercevoir le résultat d'une sieste en plein soleil, côté pile blanc comme neige, côté face érubescent, véritable pub ambulante "Carte d'or' vanille/fraise.
Puis tout se calme soudain, une sirène de pompier se fait entendre au loin, et la vie reprend son cours, pataugeant dans les ruelles luisantes.
17 heures. Le ciel est bleu.