Scène banale
La tension est palpable sur le terre-plein au-dessus de la plage. Les promeneurs se sont arrêtés, les mamans avec leurs petits dans les poussettes, les flâneurs, les joueurs de boules ont tous les yeux rivés sur la plage, tendus et silencieux.
Ici, même inconsciemment, on a toujours un oeil qui traîne sur la mer et c'est un joueur de boules, pourtant bien concentré dans une partie décisive qui a donné l'alerte.
Le corps d'un homme qu'on vient de sortir de l'eau git, inerte et gris sur le sable de ses vacances. Le SAMU, les pompiers s'acharnent sur le noyé qui ne réagit plus.
C'est fini.
Des gens le regardent longuement, les écouteurs sur les oreilles, sans cesser de battre le rythme de la musique par de petits mouvements saccadés du cou et du thorax, une femme, tout près du malheureux corps impudiquement exposé, le cul vissé sur sa serviette à quelques centimètre de lui, continue de mâcher son chewing-gum le regard vide, attendant qu'on libère la place pour s'étaler un peu plus, d'autres se précipitent à l'eau en courant dans des éclats de rire en évitant de regarder l'homme échoué.
Comme c'est banal, une mort sur une plage en plein été. Si banal qu'il ne viendrait à l'idée de personne de gâcher de si belles heures dont on a payé le sable, l'eau à 28° et le ciel toujours bleu. Personne ne bouge, ne baisse la tête ou ne se pousse pour laisser passer les secours qui repartent avec le mort sur un brancard en zigzagant au milieu des corps luisant de crème solaire. On attend qu'il dégage, ce trouble-fête. C'est tout.
En haut, sur le terre-plein, choqués et graves, les" locaux" retirent leurs casquettes à son passage, en jetant encore quelques regards incrédules sur la scène qu'ils viennent de voir.
Un vieux crache son dégoût sur le sol de terre battue en murmurant des mots où il est question de respect et s'éloigne, le dos courbé.
La statue naïve de" la pudeur" sur la place, demeure le dos résolument tourné au spectacle.