Le sentier des églantiers

Publié le par almanito

Elle en avait eu plusieurs fois l'occasion, mais elle avait toujours refusé. Des amis partis là-bas en vacances, qui l'avaient invitée. Elle aurait pu, cette année là, ce n'était pas loin, il aurait suffit d'un tour en voiture et elle l'aurait revue, la maison de son enfance. Mais non, elle était encore si jeune, occupée par des centaines de choses et à l'époque, elle n'en n'avait pas l'envie, peut-être. Quelques années plus tard, un compagnon de route lui avait proposé un détour au cours d'un voyage, mais non. Elle s'était déclarée indifférente au passé, dégagée de tous les souvenirs pouvant troubler son regard sur l'avenir. Elle avait un peu menti, peut-être..., obviant le risque d'éveiller une mélancolie encalminée au plus profond de ses rêves depuis longtemps.

Et puis elle avait fini un jour par prendre la décision. Au dernier moment, s'était-elle dit, je pourrais toujours changer d'avis, feindre de ne pas voir la bifurcation de la petite route départementale, me contenter de traverser le bourg pour continuer sur la nationale....

Mais elle y était maintenant sur la départementale qu'elle reconnaissait à peine alors qu'autrefois elle la parcourait quatre fois par jour. Le chemin de l'école, celui qui menait "à la ville" comme on disait, celui pour aller faire les courses, celui du cinéma, celui qui tournait le dos à la mer pour rejoindre des agglomérations plus importantes, plus modernes, bruyantes, grouillantes et affairées qui l'effrayaient tant, petite, qu'au retour elle ressentait le besoin impératif de retrouver le sable blanc obombré de pinèdes à perte de vue comme un assoiffé se serait fébrilement rué sur une source d'eau pure.

C'est une sauvageonne, disait-on, elle ne sortira jamais du sable et de l'océan, elle doit avoir du sel dans le sang!

Pourtant elle avait bien dû partir, bien trop tôt et bien trop loin à son goût, elle avait obstinément éloigné de sa mémoire les effluves des embruns mêlés à celle des résineux et dû s'adapter à la lumière caligineuse du Nord à laquelle elle avait fini par trouver quelque charme aussi, bien sûr, mais en gardant un poids de nostalgie au fond du coeur, mal du pays conjugué à l'enfance escamotée de ses dunes limpides et claires sous des ciels de plomb.

Ayant laissé sa voiture sur le bas-côté, elle poursuivait lentement sa route, reconnut la maison de pierre au bout d'une allée bordée de hauts arbres sombres d'une petite Cathy timide et si mignonne, celle d'un Lazare, caïd du quartier, le plus grand de la classe dont l'évocation du seul nom faisait frémir les plus craintifs dans la cour de récré, celle un peu délabrée, d une Alice qui ne sortait pas d'un conte mais, chuchotaient les gosses entre eux, d'un chaudron de sorcellerie tant elle les terrifiait avec sa manie de toujours débusquer les bêtises en préparation....

Brusquement, la chaussée s'élargit alors qu'elle approchait de la maison bâtie par son père. Elle les revoyait tous deux, son père et sa mère, les yeux brillants, penchés côte à côte, leurs têtes se touchant presque sur les plans de la maison en projet étalés sur la table de la cuisine. Méfiante, elle regardait alors de loin les tracés rectilignes et sévères d' encre noire couvrir d'impressionnantes feuilles blanches, figurant des chambres, des portes, des pièces dont son jeune âge ne concevait pas la réalité future et ne partageait pas l'enthousiasme des grands. Ce fut pourtant la maison de son enfance, celle du bonheur, vaste et heureuse, dont les deux étages accueillirent une famille pléthorique remuante et joyeuse.

Elle approchait maintenant, le sang lui battant les tempes. C'était là. Elle lut, sans y croire, le souffle court: "Route barrée", "Travaux". "Construction d'un accès à l'autoroute sur la voie D....."

Des camions de BTP obstruaient sa vue, des engins défonçaient les talus, transformant le paysage en un vaste chantier meurtrissant un jardin dévasté qui ne gardait plus aucune trace de la grande maison blanche en son centre. ..

Sur le chemin du retour, elle arrêta sa voiture près de la voie ferrée désaffectée depuis bien longtemps, avant même sa naissance. La végétation courait toujours, sauvage et libre entre les rails qu'on devinait à peine. Elle longea la voie ferrée, comme autrefois, lors de ses escapades secrètes. Le petit sentier était toujours là, qu'elle suivit jusqu'à la haie d'églantiers qui s'enfuyait sur des kilomètres, elle le savait, comme un tendre et dense nuage de fleurs roses au parfum léger d'antan.

Le sentier des églantiers
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M
Suivre son chemin... moi je dis toujours que j'ai eu plusieurs vies! donc je ne regarde pas trop derrière car il y a pleins de choses des bonnes et des mauv..... moins bonnes! bonne soirée Alma
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A
Eh bien c'est un peu ce que je ressens, comme toi, j'ai l'impression d'avoir eu plusieurs vies, c'est à dire plusieurs à l'intérieur d'une seule et même vie. <br /> Bonne soirée Mina!
C
Un retour trop tardif. Mais par le chemin des églantiers, on acccède à tout le pays d'enfance, bien au-delà de la maison effacée.
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A
Exactement, d'ailleurs &quot;elle&quot; est toujours émue lorsque d'aventure elle voit des églantiers sur son chemin.
I
Je suis souvent allée sur les lieux où j'ai vécu, c'était plus une envie qu'un besoin et selon les endroits, par obligation (revoir de la famille). Je n'ai pas d'attache particulière à ces endroits mais j'ai souvent été émue de revoir ces quartiers ou maisons qui me replongeait dans mon passé.<br /> Ce temps qui passe si vite !... Va savoir pourquoi, je pense aux paroles d'une chanson de Léo Férré ....<br /> &quot;Des problèmes de mélancolie<br /> Alors on boit un verre en regardant loin derrière la glace du comptoir<br /> Et l´on se dit qu´il est bien tard...&quot;
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A
C'est vrai que c'est en retournant aux endroits où l'on a vécu qu'on se rend compte combien le temps passe...<br /> Belle chanson de Ferré;), merci Katia
L
superbe, on attend la suite
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A
?
J
La réalité nous fait peur et attendons d'être prêts pour l'affronter… mais l'est on jamais???<br /> Mais peut-être vaut il mieux rester avec nos rêves ???<br /> Très bon week end Alma
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A
Je ne suis pas loin de le penser, merci Jackie
L
Certes, le passé nous sculpte, intellectuellement, psychologiquement. La maison où je suis né, dans laquelle j'ai vécu trois ans, ne me fait ni chaud ni froid lorsque je passe devant:elle est moche, enclavée entre deux maisons pareilles. La deuxième, plus campagnarde, je la vois tous les jours. D'elle, je ne ressens rien. Ce sont les souvenirs qui l'habitent: elle n'est qu'un tas de briques. Je n'ai vécu que trois ans dans la troisième où dorénavant habite maman. La maison ne m'est rien. J'éprouve plus d'émotions lorsque je gare ma voiture à Liège, souvent en face de la maison où je connus mon premier amour. La mémoire est plus précise. Les événements, datant pourtant de 45 ans, resurgissent clairement. Certes, tous les paysages ont changé: on a construit dans les prairies de l'enfance des grandes niches à chien. On a embelli la ville, enlaidissant mes souvenirs. Mon village comptait 400 êtres, voilà quarante ans, quand nous nous y sommes installés. Nous sommes plus de 1500. Suis-je triste? Esthétiquement parlant, sans aucun doute car les nouvelles maisons n'ont pas ce caractère poignant qui me plaît tant chez celle que j'habite (aujourd'hui, il ne viendrait à l'idée de personne de fixer, au-dessus de la porte du garage ou du car-port, en chiffres fabriqués de fer forgé, la date de construction car celle-ci a duré, à tout casser, quatre ou cinq mois. Au-dessus de ma grange: 1784. Il a fallu 12 ans pour édifier ce lieu!). Le passé vit dans nos tripes. C'est là qu'il devrait rester. <br /> Beau texte, Alma.
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L
Ah, ça!!! Belle journée!
A
Comme je vous comprends! Et je pense que pour rien au monde vous ne l'auriez échangée contre une villa luxueuse.
L
C'est vrai: ici, on construit avec de fausses vieilles pierres - des parements cachant les blocs de béton - venues de Chine, guère épaisses, qui n'ont aucune &quot;gueule&quot; comme on dit. Elles n'ont évidemment pas de passé et je doute qu'elles aient un avenir.<br /> C'est vrai: je n'ai jamais dû quitter un lieu. Par contre (cfr votre commentaire d'hier), je pense que je serai tourmenté si un jour je revoyais la &quot;maison&quot; (quatre murs, un toit, une seule pièce) que les Hunzas m'ont offerte dans le village de Gulmit en remerciement des services rendus à la famille d'un porteur décédé.
A
Merci Jicé. Je suis d'accord avec vous pour dire que le passé vit dans nos tripes. <br /> L'absence d'émotion vient du fait que vous n'avez pas eu de cassure, vous n'avez pas eu à partir brusquement d'un lieu, d'une terre ou d'une maison puisque vous vivez toujours dans la même région. Vous n'avez donc pas connu l'émotion du retour après une vie passée loin. Pour ce qui est des maisons que l'on construit maintenant, en quelques mois, qui ressemblent toutes à celles que l'on voit dans les pubs, je ne sais pas si les générations futures en concevront quelques nostalgie. Je vois souvent de tristes demeures en béton se monter à côté d'un amas de vieilles et nobles pierres qui ne demanderaient qu'à servir...écoeurant en effet.
B
la maison de ma grandmère ,maintenant habitée par d'autres personnes a tellement changé , je suis contente de la voir ainsi transformée ...............je n'aimais pas l'idée qu' un étranger habite &quot;chez ma grandmère &quot;. on avance !
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A
Oui, l'idée que d'autres habitent &quot;chez nous&quot; est assez désagréable et choquant. Et les souvenirs restent dans les coeurs.
C
Moi j'ai absolument besoin du passé pour avancer, ce qui ne m'empêche pas d'être moderne et bien ancrée dans mon époque ! Je garde comme des trésors toutes les choses, même insignifiantes, qui me viennent de mes aïeux, et je désespère déjà de savoir qu'après moi tout ça sera jeté ... Quant à la maison de famille c'est maman qui l'habite donc évidemment j'y vais souvent ! Je suis très nostalgique du passé, j'ai toujours tendance à croire que c'était mieux avant, quand les jeunes étaient polis et respectueux, qu'on ne courrait pas et qu'on prenait le temps, quand on connaissait la valeur du travail ... Mais bon, elle n'a pas retrouvé la maison, mais elle a quand même retrouvé des sensations, celles du petit sentier, de la haie d'églantiers, c'est toujours ça ...<br /> Très belle soirée Alma !<br /> Grosses bises<br /> Cathy
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A
J'étais comme toi, je gardais des souvenirs, de petits objets et maintenant que je ne les ai plus, je me rends compte que l'essentiel ne tient pas dans ces menus souvenirs laissés par nos ancêtres et nos parents mais dans ce qu'ils nous ont appris. Mais tu as raison: pour avancer, nous avons aussi besoin du passé.
L
J'ai fait le chemin moi aussi. Et par bonheur (peut-être) rien ou presque n'avait changé. Mais quand j'ai vu le nouveau propriétaire des lieux, ouvrir la fenêtre qui donnait sur ma chambre...j'ai vraiment été choquée. Finalement, j'ai regretté d'y être allée...
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A
Eh oui, la tentation est toujours forte de retourner sur les lieux qu'on aimait. Je comprends ton choc!<br /> Pour tout te dire, je ne me suis pas décidée, la dernière fois où j'aurais pu le faire, c'est en regardant sur google earth bien longtemps après, que j'ai vu la maison de mes parents remplacée par une bretelle d'autoroute... j'ai imaginé ce que j'aurais ressenti en fait.
E
Ton texte m'a mis mal à l'aise.Tout ce qui touche au passé me rend triste. Je fais vraiment tout pour éviter de me retrouver sur des lieux connus, je regarde rarement les photos (un comble pour moi qui publie sur un blog photo !) et surtout j'essaie d'occulter et de regarder devant moi... avec des projets plein les yeux.
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A
Je te comprends car j'étais un peu comme toi. Mais parfois, il peut arriver qu'on arrive trop tard... Sait-on si ensuite on n'aura pas de regrets? <br /> Mais d'une façon générale, je pense qu'il ne faut pas trop se retourner et vivre&quot; avec&quot; ses souvenirs, bons et mauvais et pas&quot; dans&quot;, ses souvenirs. Mais malgré tout, nous sommes tout de même faits de notre passé...
S
20 ans après mon départ, je suis retournée. <br /> Je suis allée à la petite école et j'ai couvert le chemin qui mène à la maison. Et bien zéro émotion car changement, changement, changement. En face de la maison, le champs était devenu lotissement. Une grande véranda devançait la maison sur la pelouse devenue mille plantation. Des fenêtres avaient été ouverte dans le toit. <br /> Cette maison du malheur ressemblait alors à une maison du bonheur. <br /> Il ne restait rien, et c'était bien.
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A
Il faut du courage pour retourner voir &quot;la maison du malheur&quot;! <br /> Mais la roue tourne et maintenant, des fenêtres sont ouvertes sur le toit, directement exposées au ciel et au soleil: sans doute ce qui manquait avant, à cette maison que tu as fui.<br /> Heureusement, la Résultante rattrape tous les gâchis du passé.
C
C'était arriver trop tôt ou trop tard !... Les travaux auraient été terminés, le souvenir aurait été intact mais voir les stigmates de ce lieu tant aimé, là c'est vraiment dur !!!<br /> Pour ma part je ne suis jamais retournée voir une maison que j'ai habitée mais parfois il m'arrive de rêver que j'y habite à nouveau... Je déteste ça... Belle soirée à toi
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S
Peu importe. La question n'est pas de comparer le plus ou le moins important. Certains ressentent le besoin de se confronter au passé (pour en faire le deuil, ou pour mieux se connaître ou pour mieux comprendre le présent), d'autres au contraire préfèrent garder des images, des visions anciennes, la vérité n'entre pas en ligne de compte dans l'histoire (nous avons en nous un passé refabriqué par notre imaginaire et un passé réel, celui de faits précis - un deuil, un accident, un mariage, etc...). Il n'est pas question de se complaire dans le passé mais occulter le passé n'aide pas à vivre le présent. Nous en sommes pétris et nous avançons avec ce qu'il nous a légué. Les amnésiques (au sens clinique) ne trouvent pas leur place dans ce monde.
A
Pas du tout, tu peux revenir autant que tu veux. Est ce que ce &quot;quelque chose qu'on garde&quot;n'est pas le plus important, finalement? La vérité du moment n'existe pas puisque nous la ressentons tous de façon différente sur le coup et qu'ensuite notre mémoire la transforme.
S
Oui, c'est ça le problème : on ne le garde jamais intact. C'est autre chose qu'on garde. Deux amis qui ont vécu le même événement en gardent un souvenir tout à fait différent, je l'ai personnellement vécu. Notre esprit choisit ce qu'il veut garder. Quand je parlais de peur plus haut, je songeais à la peur d'émotions trop fortes. Pardon d'être intervenue trois fois. J'exagère.
A
Tu as raison, il vaut mieux faire un trait sur le passé et pouvoir le garder intact dans sa mémoire même en le déformant un peu avec le temps, comme pour les gens qu'on a aimés....
S
Combien de fois, au cours d'une vie, n'arrive-t-on pas trop tard? Quelle est cette force obscure qui nous pousse à sans cesse différer? Et à nous prétendre &quot;indifférent&quot;. Une sorte de peur refoulée, inconsciente ?<br /> Je parierais que cette histoire est déjà arrivée, sous une forme ou une autre, à plusieurs de tes lecteurs.<br /> Joli texte en tout cas.
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S
C'est une affaire très personnelle. J'aurais plutôt tendance à l'inverse mais moi aussi, je suis parfois arrivée trop tard.
A
Merci Sidonie.<br /> Certainement plusieurs de mes lecteurs ont connu une histoire similaire à celle-ci, c'est pour cela que je m'efforce toujours de ne jamais retourner sur mes pas. La mémoire, même estropiée, embellie ou au contraire noircie, l'imagination et le rêve suffisent à mes yeux...