Compote

Publié le par almanito

C'était la lettre P qui fut tirée au sort, cette année là.

Partout, dans les campagnes, on s'interrogeait: qu'allait-on avoir en abondance cette fois-ci, forcément quelque chose qui commence par la lettre sortie du grand sac. Les pronostics allaient bon train: des poules, disaient certains, des pétoncles, pensaient d'autres, ou des pélargoniums, ou peut-être bien des pâtes, ou encore des pavés, prétendaient les plus pessimistes.

Ce furent des pommes.

La communauté n'en fut pas mécontente lorsqu'elle reçut la nouvelle. Des pommes, bien, bien, disait-on, c'est un fruit qui se conserve et que l'on peut décliner en une multitude de produits dérivés.

Des équipes s'étaient formées spontanément, certains souhaitaient se spécialiser dans la compote, d'autres dans la tarte tatin, d'autres encore se voyaient dans la fabrication de cidre et même avaient l'intention de décliner le fruit en produits de beauté.

Les imaginations allaient bon train, chacun y allant de son idée. On avait recruté des ramasseurs, des éplucheurs, des cuiseurs, des trancheurs, enfin tout un tas de petites mains aptes à mener à bien la réalisation de tous ces merveilleux projets.

Oui, le cycle de la pomme promettait d'être un cycle florissant s'accordait-on à dire.

L'enthousiasme général autour de la pomme avait remonté le moral de tous.

De triste mémoire, on se souvenait du cycle de l'ail qui avait été une calamité, qui avait envahi les environs d'une odeur persistante longtemps encore après la fin du cycle. Les peaux, les vêtements, les logis étaient imbibés de relents d'ail et les habitants avaient pensé qu'au moins ils étaient à l'abri pour des siècles d' éventuelles invasions vampiriques, bien que l'on n'en ait jamais vu jusque là, il est vrai, mais sait-on jamais.

Chacun avait donc retroussé ses manches et faisait déjà maints calculs de profits en se frottant les mains.

On s'interrogea longtemps sur ce qui se passa alors. De pommes, il n'y eut point. Pas une seule.

Ce furent des haricots qui poussèrent. En rangs serrés, en rames triomphantes, des verts, des plats, des beurres, en grains, des haricots dans tous leurs états, des extra-fins, des gros avec des fils, des nains et des géants: une armée de haricots.

Déçue, la communauté remisa alambics et pâtes brisées, renvoya ramasseurs et éplucheurs de pommes pour engager cueilleurs et écosseurs de haricots, puis on fit bon coeur contre mauvaise fortune et l'on s'engagea dans la conserverie à grande échelle.

Comme la loi prévoyait que les nouveau- nés devaient porter un prénom commençant par la lettre du cycle, le problème fut alertement résolu. On décida, dans le doute, de joindre au P légal du moment, le H du haricot. Solution discutable mais que tout le monde accepta. Ainsi vit-on encore l'imagination des habitants, qui, faute de choix variés, affublèrent leurs marmots de prénoms curieusement orthographiés comme des "Phrançois", "Phirmin", "Phlorence"...

Il y en eu tant, des haricots, que les villageois travaillant pourtant jours et nuits parvenaient à peine à cueillir, laver, équeuter, trier étuver et mettre en boîte la masse qui se régénérait chaque matin dans les jardins. La communauté, harassée, ne vivait plus que par, pour et dans le haricot.

Et la vaillante Lili, elle si courageuse et pleine d'entrain habituellement, la tête dépassant tout juste de la montagne qu'elle épluchait depuis...oh! elle ne comptait même plus les jours, Lili, dans son coin, attendait. Elle attendait la fin des haricots, vous vous doutez bien.

Compote
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M
moi j'ai toujours des pommes! depuis toute petite je mange des pommes...je vais les cacher maintenant j'ai peur que l'on me les pique!!!!!!!! trop top ton histoire allé hop dans le cahier!
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A
Eh oui, pauvre Mina! On sait bien qui te les pique, en plus...;)
H
Sucré / salé, et parfum d'enfance...<br /> Mon père arboriculteur complétait les revenus de l'exploitation par la culture d'immenses rangs de haricots verts qu'il fallait bien ramasser, pour la vente, et pour une part préparer pour la maisonnée, famille nombreuse, et joie d'être un aîné !<br /> C'est dire si pommes et haricots, ça me parle !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!<br /> Bravo à nouveau<br /> Et merci Alma<br /> Amitiés
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C
Quelle jolie histoire ! Une petite fable sur ce qui arrive quand on édicte des règles stupides et qu'on ne maîtrise plus rien. Bon les haricots, personnellement je n'ai rien contre, j'adore ça... et puis Philomène ça m'aurait bien plu comme prénom. Mais imagine que ce soit l'année des cucurbitacées... Cunégonde est un prénom moins seyant ! :-))...
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A
C'était très marrant dans le genre famille un peu beauf du début du siècle (dernier) sous forme de BD à l'ancienne.
C
Je ne connais pas &quot;la Famille Fenouillard&quot;... Il va falloir que je questionne notre ami Gogol...<br /> Remarque Cunégonde c'est pas mal... en 125ème prénom !!! :-)
A
Philomène ça fait un peu excentrique, non? J'ai un personnage dans mes billets que j'ai appelée Philomène. Elle était spéciale:)<br /> Cunégonde, ça me fait penser à la &quot;Famille Fenouillard&quot; Arthémise et Cunégonde les deux héroïnes... Dur!
P
Ro, ben c'est de la déception car je préfère les pommes aussi aux haricots.<br /> Rassure moi pour Lili, je suis très inquiète ;-)<br /> Bise et bonne journée
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A
Ca l'amuse, c'est vite dit. Bourreau d'enfants!
L
Lâchement, j'abandonne cette tâche à ma petite-fille qui prétend que ça l'amuse, elle. Résultat : tous les pots de gelée sont pour elle qui adore déjeuner avec une crêpe (bretonne) tartinée de gelée.
A
Lili ne se plaint pas, mais elle redoute le cycle des groseilles avec le traditionnel épépinage à la plume d'oie.<br /> Merci Pascale
J
Oh, c'est super… et l'illustration !!!<br /> Merci Alma<br /> Bonne journée
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A
L'illustration est géniale, malheureusement je n'ai pas trouvé de haricots dans le même genre...
L
ps: Je me suis trompé en transcrivant Colette Guillemard: on ne dit pas &quot;aller aux gourgates&quot; mais &quot;aller aux gourganes&quot;. La gourgane est le nom donné, principalement en Normandie, à la fève des marais. Ouf!
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A
Eh oui, ça change tout en effet!
L
Et de &quot;merci&quot; en &quot;merci&quot;, on n'en finira plus! Disons, si vous le voulez bien, que, dès à présent, il ira de soi. A &quot;merci&quot;, je préfère la traduction russe &quot;spassibo (le &quot;o&quot; se prononce comme un mélange du &quot;o&quot; et du &quot;a&quot;) qui signifie &quot;que Dieu te sauve&quot;, étymologiquement... même si Dieu, l'incapable, ne peut rien faire contre la fin des haricots!!!
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L
Heureusement, ce ne furent pas les crosnes du Japon... car j'imagine Lili en train d'éplucher ces racines tortueuses! Le hasard a voulu que j'étais chez Lili le jour où son voisin lui a remis un seau entier de haricots (et je présume qu'il en donnera encore). Plus tard, visitant la cave de Lili, je remarquai un amoncellement de bocaux emplis de haricots... de quoi soutenir un long siège et ne pas en voir la fin.<br /> Extrait d'un livre de Colette Guillemard (je résume fortement): &quot;(...) &quot;haricot&quot; était le terme générique de toutes les gousses: légumes bon marché. Ils servaient d'aliments de base à la population pauvre d'autrefois, étaient l'ordinaire des écoliers, des militaires et des prisonniers à tel point qu'&quot;aller aux gourgates&quot; se disait pour &quot;aller au bagne&quot; car on servait des fèves de marais aux prisonniers en route vers leur lieu d'embarquement. Quand il n'y avait plus de haricots, dans une famille pauvre, on pouvait dire que c'était la fin de tout. Un autre explication? Quand la télévision n'existait pas, on pratiquait beaucoup les jeux de société. On misait des haricots. Lorsqu'il n'y en avait plus, la partie s'arrêtait: le combat cessait en raison de l'épuisement des haricots qui représentaient, en l'occurrence, le nerf de la guerre&quot;. Un conseil personnel: à la cuisson, ajouter une cuiller à café de bicarbonate de soude culinaire pour éviter les flatulences. Ne dit-on pas, quand la casserole est vide: &quot;il n'y en a plus un pet&quot;? Merci pour ce texte, Alma.
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A
Lili aurait épluché les crosnes avec la même ardeur. Car elle est comme ça, Lili. Mais sans doute aurait-elle pensé à les frotter dans du gros sel comme on le fait pour extraire la peau fine de certains légumes printaniers. Le bicarbonate est bien aussi pour les haricots verts pour en conserver la belle couleur...verte.<br /> Je ne connaissais pas l'expression &quot;aller aux gourgates&quot;, merci pour ces explications très savantes Jicé.
C
Quelle imagination Alma !!! Et bien je crois que je vais penser à toi ce week-end en faisant ma compote car oui, je ne sais pas si c'est l'année des P mais des pommes il y en a, on est en Normandie après tout !!! Et courage à Lili, elle arrivera la fin des haricots ...<br /> Belle fin de semaine !<br /> Grosses bises<br /> Cathy
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A
Normal, chez toi la pomme est un cycle continu, alors bon courage pour la compote...Pathy!
S
J'écris mon article, je viens lire le tient et là HORREUR. Tu as perdu tes pommes en cours de route car je les ai pris pour les chèvres .... ;-)
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A
T'as bien fait, elle en feront bon profit;)
M
Très joli! Je ne dis pas ça pour &quot;Lili&quot;, je le pense. La &quot;fin des haricots&quot;, ça va venir.....
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A
Hou! Je ne parlais QUE de ces haricots là!
C
Peut-être qu'on pourrait planter des graines en formes de lettres ? Ce serait plus simple (même pour les bébés), et on pourrait écrire des textes entiers, au lieu de répéter sans fin le même mot, de potager en potager.
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A
C'est une excellente idée qui me réjouit bien je dois dire.<br /> Peut-être à envisager au printemps prochain...
I
Et elle l'attendit longtemps :)<br /> Quelle imagination, bravo, c'est très drôle almanitoo !
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A
Non, sans sucre ajouté!
I
C'est sucré :)
A
Compote maison:))