Les nuisibles
Ce ne sont pas ceux que l'on croit.
Les miens sont équipés de deux pattes et deux bras chacun, surmontés d'une boîte crânienne vierge de tout autre élément que de vent ou éventuellement d'eau de mer à la belle saison, lorsqu'ils vont se baigner.
Comparé à la population locale, le nuisible ne représente qu'un infinitésimal pourcentage, ce qui ne l'empêche pas d'occasionner des dégâts considérables dans le biotope.
Parmi les spécimens les plus remarquables, arrêtons-nous sur une certaine Faustine, fleuron de ce que l'on appelle le troisième âge pour toute l'énergie dont elle fait preuve dès l'aube. A l'aide d'un doigt pourvu d'un ongle pouvant à l'occasion servir de griffe, tac, elle ouvre la radio. Un bourdonnement continu empli l'air du matin, faisant fuir les derniers chats errants, réveille les oiseaux et les voisins. Des fenêtres claquent: on tente de s'isoler pour retourner encore quelques minutes sous la couette.
A sept heures, Sérafino, prénom qui lui sied comme un tutu à un bonobo du Gabon, entre en scène au volant d'une guimbarde d'avant-guerre (la première) pétaradante dont le pot d'échappement méphitique éructe de nocives fumées. Il reviendra ainsi dix, quinze, vingt fois dans la journée, car tel un écureuil avec ses noisettes, il oublie toujours soit un tournevis, soit un journal, soit n'importe quel objet caché dans son hangar. Nul ne s'aviserait de lui en faire reproche, il a le verbe haut et arracherait encore, dans sa colère, un pan de mur en reculant brutalement dans la ruelle étroite.
8 heures, un troupeau de mastodontes indiens rejoue la bataille de l'Hydaspe, quinze éléphants de cinq tonnes chacun se préparent à la charge. Ah non, c'est seulement au-dessus de moi: on fait le ménage. Une machine à faire le pain très poussive va tourner deux heures durant en vue de sortir un pâton plus mauvais que celui du boulanger.
Un peu plus tard, la bipède du 35 s'étire sur son balcon, ouvre grand sa cavité buccale d'où s'échappe une logorrhée qui ne s'épuisera qu'au soir tombant. Une élocution sentencieuse, décortiquant chaque mot martelé syllabes par syllabes, ponctuée de vôaaalaaaa calamiteux sort d'un gosier pourvu de haut-parleurs. Sa couvée en prend plein les oreilles mais une fois celle-ci envolée pour l'école, la bavarde déniche encore des victimes dans son téléphone portable.
Enfin, en outsider, nous avons les jumelles au numéro six de la rue en face. Pas plus de douze mois, jolies porcelaines fragiles, deux petites nuisibles immatures en tout sauf en voix. Ni pleurs, ni rires, juste des hurlements que l'on pourrait confondre, dans les meilleurs moments, avec les cris stridents des goélands.
Les goélands, tiens, parlons-en, des goélands. Tout le monde s'accorde pour dire qu'ils représentent avec leur arrogance triomphante au-dessus de nos toits paisibles, la nuisance la plus insupportable du quartier.