L'autoroute
Espéria en rigolait encore dans sa chambre, quelle histoire!
A son âge, rentrer chez son fils, dans ce pavillon de banlieue chic encadrée par deux gendarmes...ils en avaient fait une tête, François et Annie, en ouvrant la porte!
François était fâché, mais elle avait bien vu qu'il était heureux de la retrouver après toute l'inquiétude qu'il avait eue, mais Annie, sa belle-fille, dès qu'elle avait compris, était partie s'enfermer dans la cuisine en haussant les épaules. Quel dommage que son François ait épousé cette harpie...franchement, beau et courageux comme il était, il aurait pu se trouver une mignonne petite qui aurait eu le sourire du matin au soir. Mais non, il avait voulu celle-là, jamais contente, toujours en train de reprocher quelque chose à François, ou aux enfants, ou à elle-même, et jusqu'aux aux voisins...en plus même pas fichue d'apprécier la bonne pasta comme au pays, quand Espéria se met en cuisine les jours de fêtes...non, ces jours-là, madame picore trois feuilles de salade en jetant des regards assassins au reste de la famille qui semble préférer la pasta ancestrale aux éternels surgelés qu'elle leur sert habituellement.
Espéria sait bien que sa belle-fille la considère comme une gêne, C'est sûr, cela ne se fait plus de garder les vieux à la maison. Maintenant, soit on a de l'argent et on finit sa vie dans sa propre maison, soit on va à l'hospice. Et voilà. François avait changé depuis son mariage. Il ne riait plus, parlait peu, était souvent agacé, nerveux, mais pour ce qui est de mettre sa maman à l'hospice, il avait dit "ça, jamais", en tapant du point sur la table et Annie, peu habituée à le voir en colère, n'avait pas insisté.
Elle posa le gros et lourd Atlas qu'elle venait d'emprunter à ses petits-enfants sur le petit bureau près de son lit, chaussa ses lunettes. Elle vénérait ce livre, s'émerveillant à la pensée qu'il contenait le monde entier dans ses pages. Et même plus, il y avait aussi le ciel et les étoiles! "Alors...voyons un peu...." murmura-t-elle en le feuilletant d'une main tremblante, cherchant le sommaire.... "c'est vrai que j'ai agi comme une idiote aujourd'hui, il faut que je m'organise sérieusement si je veux y arriver..." son index s'arrêta, pointant le mot Europe, puis France. ..."Voilà, nous y sommes, page 442..."...les gendarmes avaient tancé François, "est-ce normal de laisser une femme de cet âge marcher sur l'autoroute, avec un cabas? surveillez votre mère, monsieur, c'est un danger public, que cela ne se renouvelle pas!" Le pauvre François avait murmuré des excuses, promis de la surveiller et de lui parler fermement..... C'est vrai, elle avait été trop bête, son cabas...évidemment! se promène-t-on avec un cabas sur l'autoroute, rien que ce cabas avait attiré l'attention sur elle...et puis ça!!! elle ne savait pas que l'on n'a pas le droit de marcher sur l'autoroute...pourtant, elle n'avait marché que sur le bas côté, là ou les voitures ne roulent pas! à quoi bon un bas côté ou personne ne va? Décidément, le monde moderne était bizarre, mais s'il en était ainsi, très bien, elle ne marcherais plus sur l'autoroute, non, elle trouverait une autre solution... "ah, voilà...Rouen, ah oui, c'est bien ce qui me semblait, c'est à Rouen qu'il faut aller pour La rejoindre...va pour Rouen!" se dit-elle en refermant le volume, satisfaite.
Espéria se coucha en souriant, elle allait y arriver, sûr!
.......la suite à demain............................................................................................................