La faille
Les joues de Sonia étaient encore humides de larmes et Lorca, son père, l'entourait de ses bras en chuchotant des mots d'apaisement. Ils étaient pelotonnés l'un contre l'autre, accroupis derrière les buissons. Sonia avait eu si peur qu'elle avait mouillé son pantalon et Lorca tentait de calmer les tremblements qui agitaient encore tout le corps de la petite.
Lorsqu'ils entendirent des pas approcher, ils rentrèrent un peu plus dans la pénombre matinale des taillis. L'homme passa sans les voir mais Lorca reconnu Patrick.
Psitt, Patrick! fit-il à voix basse. Patrick se retourna et découvrit le père et la fille blottis sous la verdure.
"Qu'est ce que vous faites là, tous les deux?! Pas de blessures, tout va bien?"
"Ca va, on n'a rien souffla Lorca, mais Sonia est sous le choc. On était au squat. Ils sont venus nous attaquer au petit matin. On a tous pu fuir, mais juste après, il y a eu ce... ce ...tremblement, Je ne sais pas... coup sur coup, tu vois: l'attaque et juste après, ces terribles secousses... ce séisme...."
"Attaqués?"
"Oui, tu sais bien, les mecs de la cité, là-bas, toujours les mêmes. Cette fois-ci ils sont arrivés armés.... ils avaient des barres de fer. Et ils étaient bien plus nombreux et bien plus violents... que d'habitude... on a pu fuir...je crois que tout le monde a pu s'enfuir... j'suis pas sûr.... Sonia dormait, je l'ai attrapée par un bras et je l'ai poussée dehors... Faudrait qu'on aille voir...Sonia...Oh mon dieu, Sonia tu n'as rien..."
"Mauvaise nuit" constata Patrick en se délestant de son sac à dos dont il sortit deux thermos. Il versa la soupe dans un gobelet en plastic qu'il tendit à sonia et donna le thermos de café à Lorca." J'ai avancé un peu ma tournée quand j'ai vu ce qui c'était passé. J'ai seulement des thermos et de quoi soigner les premières blessures. Je n'ai rien à vous donner à manger, je suis parti en vitesse... les gars de la cité, tu dis? Ils sont où maintenant, ils ont pu sortir?"
"J'suis pas sûr, on était occupés à courir, je voulais mettre Sonia à l'abri, tu comprends, je ne me suis pas retourné."
"Bon, il faut aller voir quand même, dit Patrick. Sonia, ma grande, tu te sens assez forte pour venir avec nous ou tu préfères nous attendre là?"
Sonia se réfugia près de son père en lui serrant le bras. Lorca était à peine plus grand que sa fille. Un petit homme mal taillé aux jambes arquées et aux épaules étroites mais son beau visage typé exprimait toute la force de sa volonté et ses yeux noirs brillaient d'un éclat qui faisait immédiatement oublier ce corps tordu, mal foutu. Et lorsqu'il se mettait à la guitare et que Sonia chantait si doucement et si juste, les gens fascinés par ce couple singulier les écoutaient et plus rien ne comptait, pas même leur dégaine de gitans.
Ils décidèrent d'emmener la fillette et partirent d'un bon pas, Lorca claudiquant avec Sonia en ventouse à son bras. A quelques mètres de la bâtisse désaffectée, une large faille les arrêta. Patrick posa son sac et après avoir pris son élan, la franchit de justesse. "attendez-moi là "dit-il . Le bâtiment ne semblait pas trop sinistré au premier abord, mais Patrick, en en faisant le tour, se rendit compte que toutes les issues étaient bouchées. Par un interstice, il balaya de sa torche une partie de la salle. Il distingua quelques hommes qui se mirent à appeler, à crier en s'approchant de la fissure d'où venait le faisceau de lumière.
"Vous êtes qui? avez-vous des blessés parmi vous? " gueula Patrick.
"Non, pas de blessés, on est pris dans ce piège à rats répondit une voix forte, sortez-nous de là. On est de la cité à côté, prévenez les secours... les pompiers".
"Y a t-il encore des squatters avec vous?"
"Non, ces salauds ont déguerpi vite fait, on a fait le ménage, y a pus d'vermine ici, allez fissa, les pompiers, le réseau doit être coupé, on peut même pas avertir chez nous!"
Patrick rebroussa chemin, sauta par dessus la faille de la même façon qu'à l'aller et rejoignit Lorca et Sonia.
"Alors?" demanda Lorca.
"Pas d'êtres humains dans ce foutoir, vous l'avez échappé belle" fit Patrick. Et il rajouta en réprimant un petit sourire: "J'alerterai la police et les pompiers ce soir ou demain....rien ne presse"....