Maîîîîître!

Publié le par almanito

J'attendais une copine hier et pour ne pas rester en plein cagnard, je suis rentrée dans cette salle d'expo que je fréquente assez régulièrement même si la plupart du temps j'en ressors assez déçue.
Le Maître est à l'étage, m'a chuchoté la dame à l'accueil, vous pouvez y aller.
J'ai tout de suite compris pourquoi la dame parlait à voix basse lorsque j'aperçus l'artiste affalé derrière un paravent, jambes allongées devant lui, somnolant devant son ordi. Il ne ressemblait pas du tout à ses personnages en bronze filiformes et répétitifs grimpant un peu partout sur les murs. Non pas qu'il fut adipeux, bien au contraire il était bel homme, la tempe argentée et le teint impeccablement hâlé des gens qui passent leur temps libre à soigner leur petite personne dans les instituts de beauté.
Je fis le tour de l'expo, ici et là des silhouettes couraient indéfiniment sur leur socle, d'autres, assises, semblaient scruter leurs pieds ou devrais-je dire la vacuité de la vie en philosophant sur de graves problèmes métaphysiques auxquels pour ma plus grande tranquillité d'esprit je demeure imperméable, lorsqu'une bourrasque traversa la salle.
Une femme d'un bon mètre quatre-vingt faisait son entrée toutes voiles dehors, enveloppée de la cotonnade fleurie des dimanches à la campagne au siècle dernier. Sans un regard sur les oeuvres, elle arrivait en conquérante: c'était l'Homme qu'elle cherchait, l'Artiste, le Maître.
-Maîîîîître! Cher Maîîîître! Vous n'avez pas changé! s'exclama t-elle à tue-tête, oubliant par là toutes les règles que la bienséance élémentaire exige en un lieu publique. Très cheeeer, vous êtes donc en Keurse!
L'artiste, interrompu dans sa sieste et passablement ahuri s'était levé au son de l'accent très 16ème (arrondissement, ne rêvez pas) dont la dame usait et abusait comme d'un sésame. 
Pour ma part, ces intonations surjouées et un brin déplacées au fin fond de la "Keurse" me renvoyèrent très loin (non c'était hier) quand jeune VRP , j'essayais laborieusement de placer des livres d'art numérotés à une clientèle de femmes désoeuvrées, ravies de tuer le temps en ma compagnie et d'user du mien aux dépens de mon salaire. J'avais hérité du secteur des beaux quartiers ainsi que d'une rue dans le 14ème, qui elle, réunissait une forte et très sympathique communauté issue de l'immigration comme on dit pudiquement maintenant. J'étais à l'aise dans les deux milieux, sachant m'adapter aux us et coutumes de chacun, les dames du 16ème d'ailleurs eussent été fort surprises et peut-être marries d'apprendre que le thé était plus parfumé dans les quartiers populaires et que les cornes de gazelles de madame Ouakrim valaient largement les petits fours de chez Ladurée.
-Nous nous connaissons? Fit l'artiste en essayant de reprendre ses esprits...Je suis confus...
-Mais si, mais si, insistait la dame, allons ajouta t-elle: nous nous sommes rencontrés dans un restaurant et allez, je vous mets sur la piste, c'était il y a 15 ans!
Le gars pataugeait dans ses souvenirs.
-C'est que depuis j'ai dû souvent déjeuner au restaurant et je rencontre beaucoup de monde... Je suis désolé...
La dame était tout de même un peu désarçonnée. Dans mon coin je faisais mine de m'intéresser aux oeuvres, je prenais des photos, sans trop m'éloigner mais sans trop me rapprocher de façon à ne pas les obliger à baisser la voix. C'est que je voulais connaître la suite, même si l'éventualité d'une aventure amoureuse entre ces deux là semblait improbable.
L'homme semblait gêné, sans doute se demandait-il si lui et cette femme aux proportions volumineuses...
Elle, par contre, jubilait, battant des mains comme une gamine, convaincue qu'il allait enfin retrouver la mémoire...
Il n'en fut rien et la dame fut contrainte de décliner son nom, ce qui eut pour effet d'enfoncer définitivement la mémoire du Maître dans les ténèbres mais qui illumina soudain la mienne:  madame de*...! Dans un éclair, j'ai revu cette femme beaucoup plus jeune vêtue de  lambswool
dans un salon à la décoration sophistiquée. Madame*...  avait souscrit pour "un Michel Ange"  imprimé sur papier avion.
Je suis partie sans rien dire. Amusée.

 

Maîîîîître!
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I
C'est toujours gênant de ne pas reconnaître une personne. Le Maîîîître aurait sans doute aimé faire comme ses petits personnages (par ailleurs, ils sont mignons) , prendre la tangente pour retourner dans ses songes :) Le monde est petit, c'est quand même incroyable de retrouver cette femme près de toi des années plus tard ! Une scène qui t'a bien inspirée et qui a enrichi mes connaissances, j'ignorais ce qu'était le papier avion ;)
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A
Tu es trop jeune pour avoir connu mon enfant :)))))
E
Ah ah… j'aurai fait comme toi :-)<br /> Ni trop près ni trop loin mais l'oreille aux aguets.
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D
Michel Ange sur papier avion, ce n'est pas artistique que cela, ma chêêêêrrrr ?
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A
Ben si, ça donne un rendu de toile, c'est pas mal
H
C'est quoi un papier avion ?<br /> Keurse ? C'est quand on a une tierce à coeur ?
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A
Je ne sais pas si ça existe encore pour le courrier mais c'était un papier ultra léger et presque transparent utilisé pour les envois par avion pour éviter le poids. Un éditeur a eu l'idée de l'employer pour présenter des peintures, principalement celles de la Renaissance italienne, ce qui mettait les couleurs en valeur et l'aspect peinture. <br /> Oui, c'est ça pour la Keurse :)))
E
ils sont bien sympa les petits acrobates du beau Maitre, et la walkyrie tonitruante fort pittoresque sous ta plume alerte - tu as eu des vies bien intéressantes !
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A
Intéressantes, c'est pas le mot, disons variées.
L
Essai, pardon pour le dérangement
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E
Je me vois dans une galerie de Pont-Aven, devant des toiles de l'Ecole éponyme ! <br /> Avec, aussi, des chèèèèrs pas du 16è mais de paris-tout-court-sur-Scène ...<br /> Ah, cette baile Beurtaigne ! et ses Beurtons ! ses couilles-amandes (kouign-amann) !<br /> tous ces noms de villages en -c'h, prononcés ch au lieu du RRR bien guttural qui s'impose !<br /> Heureusement qu'il y apportent leurs sous, les belous. meum si ce ne sont pas les Bretons basiques et typiques qui en profitent ... Défoulement, ça fait du bien, n'est-ce pas la Keurse ?
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A
Ha non l'accent du 16ème est très particulier, rien à voir avec celui de de la Mouf' par exemple! Défoulement, non, c'est juste que ces intonations marquées et inattendues m'ont surprise à cet endroit précis.
G
Je ne te connaissais pas moqueuse. :o)))
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A
Je ne vois pas en quoi je le suis ici...
M
Et moi qui prononçais bêtement "Corse" au lieu de "Keurse", je ne suis pas du XVIéme...
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A
C'est toute une éducation le parler 16ème qui souvent s'accorde avec un certain mépris pour le peuple: essaie pas, tu y arriveras pas;)
E
Ben alors, pourquoi tu parles de toi au masculin ?
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A
Euh je crois qu'on est plus sur la même longueur d'onde:))
E
Alors, alors, c'est qui l'artiste, le Maîîîîîîîîtreeeeeeeeeeeeeee ?
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A
C'est moooooiiiiiiiii !!! En toute simplicité :))
C
Une autre façon d'aborder l'art ! Je ne doute pas une seconde que tu te sois bien amusée
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A
:)