Saint François et Napoléon
Il faut descendre tôt le matin sur la plage Saint François, bien avant qu'arrivent les services municipaux, quand sont à peine réveillés les quelques sans logis et touristes désargentés qui ont dormi au bord de l'eau sous les étoiles de la nuit d'été.
Quand de lisent encore les écritures palmées ou griffues des oiseaux sur le sable humide et que les chiens du quartier jouent dans l'eau, profitant joyeusement de la fraîcheur matinale.
Un peu plus loin, un vieil homme en short amasse des galets pris à la mer.
Notre artiste local!
Truelle et brosse à portée de main, il façonne un banc de plâtre et de cailloux le long du haut mur qui ceint la petite plage de ville.
Concentré, bougon, le bonhomme finit bon gré mal gré par s'accoutumer à mes visites quotidiennes et à Nine, ma chienne qui sans vergogne piétine son ouvrage, insouciante et libre.
Deux grands hommes aux destins pourtant contradictoires ont une place de choix dans son coeur: saint François et Napoléon. C'est pourquoi chaque jour voit fleurir, incrustées dans le mur, de nouvelles décorations à la gloire de l'un ou de l'autre, menus objets sans valeurs kitsch et plastifiés que l'on trouve ordinairement dans les boutiques de souvenirs.
Certes, ce n'est pas le nouveau facteur Cheval, mais juste pour le plaisir de le voir heureux et enfin sourire, je le complimente.
J'admire en fait son bonheur simple, sa fierté naïve.
J'ai aussi admiré son beau culot, énorme, inconséquent, lorsque je l'ai vu un jour démonter la plaque protectrice et réglementaire d'un système électrique urbain pour la remplacer par une autre en bois, conçue de ses mains, portant l'image d'un saint François tout confit et pâlot de se retrouver là, surveillant le bronzage des baigneurs...
Mais un jour, quelqu'un qui n'aimait peut-être pas le petit homme ambitieux et batailleur a arraché toutes les décorations à l'effigie de l'empereur. Sacrilège! reste St. François...et c'est déjà bien.
Notre artiste, loin de se laisser abattre, aura un jour sa revanche. De nouveaux projets sont en cours, grandioses. Il vient de se procurer un lot d'écussons napoléoniens qu'il compte bien revendre "comme des petits pains", afin de financer l'achat du marbre dont il a l'intention de couvrir la totalité du mur.
"Les gens viendront de loin pour voir ça" dit-il avec la satisfaction de celui qui coopère utilement à l'essor touristique de son pays.
C'est sûr...et pour la suite, je surveille, je vous tiens au courant bien sûr!