Simplette
Fraîchement douchée et pomponnée, elle sortit à travers champs, marcha longtemps dans les herbes déjà hautes, cueillit quelques fleurettes, traversa le petit bois charmant pour humer le chèvrefeuille. Elle dit bonjour aux oiseaux, au ciel et à la vie.
Comme tout est simple et léger, au printemps, quand un doux soleil illumine les haies irisées de rosée et distille de minuscules paillettes de bonheur qui font bondir le coeur de joie pour éclater en bulles de champagne dans les têtes enivrées, se disait-elle.
Elles soupira d'aise en voyant qu'au village aussi, les gens s'étaient laissés prendre à ce je ne sais quoi qui flottait tendrement dans l'air ambiant. Tout le monde lui souriait, certains s'arrêtaient pour la regarder passer, trottinant d'un pas allègre à travers les rues.
Le boucher avait déserté son étal pour lui faire un brin de causette, elle attrapa au vol, d'un geste gracieux, la rose lancée par le fleuriste jovial, le gendarme arrêta la circulation pour la faire traverser en dehors du passage pour piétons, Alfred, le crémier, habituellement si renfermé, appela sa femme dans l'arrière boutique pour la faire profiter de la longue conversation qu'il lui tint sur le pas de sa porte, et même les trois voyous du coin, avachis à la terrasse du café la saluèrent en riant.
Toute cette bonne humeur l'enchantait, elle se sentait jolie et tout son être était si parfaitement en osmose avec la nature et son entourage qu'elle pensa que son bonheur ressurgissait sur les autres.
Lorsqu'elle rentra enfin chez elle, il était presque l'heure du repas. Toujours souriante, elle lança un regard au miroir pour capter le reflet de son bonheur.
Ses joues étaient barbouillées d'une sorte de suie noire et sa chevelure paraissait dressée, couronnée d'une auréole de chattons du vert le plus tendre, souvenir bucolique du petit bois charmant.
En l'espace de quelques secondes, elle revit les mines réjouies et goguenardes de tous ceux qu'elle avait croisés, les voyous qui se poussaient du coude, le gendarme hilare et ce traître d'Alfred qui invitait sa femme au spectacle ridicule qu'elle avait offert.
Simplette.