Joli coeur
Faut dire qu'il avait une jolie p'tite gueule, le Paulo, ça expliquait que déjà à l'école, toutes les petites mômes en pinçaient pour lui.
Un brin dégingandé, la mèche rebelle sur le front, le regard émeraude et la pommette anguleuse, il avait de quoi aguicher les nymphettes sans se donner beaucoup de mal.
Alors il en profitait, le bougre et il aimait bien ça, plaire au filles. C'était d'ailleurs sa principale activité en dehors de roupiller des plombes entières au soleil.
Evidemment les rivaux ne manquaient pas, mais comme Paulo remportait toujours le cœur des gonzesses les mieux roulées, ça faisait des embrouilles et parfois il était bien obligé d'aller à la castagne contre plus fort que lui. Il ne comptait plus les coups et les hématomes mais il y trouvait toujours son bonheur au final puisque les donzelles admiratives se faisaient un plaisir de panser les blessures en caressant tendrement les cicatrices.
C'est le jour où la fille du notaire se retrouva dans une "situation embarrassante", selon les termes de la maman éplorée, que Paulo, sommé d'épouser sa dulcinée sur le champ, décampa sans demander son reste le plus loin qu'il put.
C'est dans la ville de T. que je l'ai retrouvé, vingt ans après, par le plus grand des hasards alors que je me rendais à l'église, à l'occasion d'une messe de communion solennelle à laquelle j'étais convié. Il avait pas changé, le drôle, juste un peu épaissi. Mais ça lui allait bien. Il occupait avec sa petite famille, une femme, cinq filles, toute une rangée de bancs. Embourgeoisé qu'il était, le Paulo. Droit et plus sévère qu'un pasteur anglican à l'office, il surplombait l'assemblée féminine de sa haute taille, tel un empereur romain. J'en étais presque déçu.
Il s'était établi coiffeur sur la grand place du bourg. Coiffeur pour dames.
On est allés boire un coup à la sortie, entre potes contents de se retrouver. "c'est toi qui les frise comme ça, les bourges du coin?" lui demandai-je étonné d'avoir vu autant de nanas toutes strictement casquées d'une sorte de coupe au bol et frisées aussi serré qu'un troupeau de moutons. En même temps je regrettais un peu ma remarque en me disant qu'il savait p'têt pas faire autrement, le pauv' gars...
Mais là, le Paulo, il m'a scié: ouais, qu'il m'a dit avec son sourire canaille: " cadeau de la maison à toutes mes fiancées".