L'artiste
Il y a quelques jours, comme c'était la pleine lune, j'avais emporté mon appareil photo pour faire ma tournée du petit matin, sachant bien que mes images seraient une bien pâle copie du spectacle qu'elle offrait, que l'on ne verrait pas comme dans la réalité, ses yeux, son nez et sa bouche, mais tant pis.
La veille, en entrant dans le premier magasin où je travaille, j'avais eu la surprise d'y découvrir un invité, dormant comme un bébé sur l'un des bancs, qui s'était laissé emprisonner volontairement à la fermeture automatique des portes la veille au soir.
J'avançai tout en restant sur mes gardes car je ne l'avais jamais vu.
Monsieur? Monsieur! Ho! ....
Le gars roupillait du sommeil du juste, enveloppé, malgré la chaleur emmagasinée de la boutique, dans un sac de couchage d'où émergeait un visage poupin et bienheureux dans ses songes. C'est toujours triste de réveiller quelqu'un qui dort. Surtout un gars comme lui dont les rêves sont un refuge.
Mais tout de même, il fallait bien, avant de commencer mon travail, que je sache à quel coco j'avais à faire....
Mes appels restant vains, je me résignai à l'usage si élégant et féminin du coup de sifflet façon docker du Havre ou fort des Halles à Rungis qui eut son effet immédiat.
La forme grogna, se convulsa puis s'étira. Un grand gaillard dont les effluves se dégageant au moindre mouvement me firent reculer d'un pas.
Ne bougez pas, vous ne me gênez pas m'empressai-je de le rassurer dans l'espoir un peu sournois que l'odeur n'envahisse pas tout le périmètre.
Quelle heure? 5h35, répondis-je, consciente du réveil matutinal complètement inadmissible que je lui imposais.
Je suis Italien, en vacances, tou comprends? Fit-il d'un air de reproche.
Oui, je comprenais bien, j'étais désolée, mais il fallait bien que je fasse mon travail...
Va bene, dit-il, grand seigneur en se rallongeant, tou peux!
Je m'acquittais donc rapidement de ma tâche et avant de partir lui signalai l'existence des douches à la capitainerie et du centre social le plus proche.
Le lendemain, donc, je pénétrai encore plus tôt dans le magasin, souhaitant prendre de l'avance pour ensuite avoir le temps de faire mes photos de lune.
La lune, justement. Qui laissait, l'indiscrète, filtrer son rayon sur la surface luisante d'un postérieur ...conséquent et dénudé. C'est qu'il a eu très chaud cette nuit, mon touriste. A mon coup de sifflet que j'ai sadiquement voulu strident, il s'est redressé d'un sursaut sur la chose découverte.
Tant mieux.
Encore toi?! Quelle heure?
Je mens en lui répondant, sinon je vais lui gâcher sa journée.
Tou as vu, je suis lavé, dit-il fièrement en passant sa main sur son visage, effectivement propre.
Je vois. Dommage qu'il se soit arrêté à la base du cou, mais l'effort est louable.
Tou sais qué demain, tu ne me vois plous, je pars à Calvi! ...Je souis un artiste, tou sais? C'est pour ça, ils m'attendent à Calvi... tou vois, un peu vacances, un peu artiste... Dolce vita, tou comprends?
Ha, je continou les vacances! Allez, va, va, fais ton travail, qué moi je dois reposer encore en attendant le car....
Ce matin l'artiste avait en effet disparu. La pleine lune aussi.